La bête remua, troublée par un danger lointain qu’elle pressentait.
Son corps obèse essaya de se mouvoir dans son nid d’immondices et d’os pulvérisés. Elle n’entendait pas le bruit de l’eau qui coulait, car elle ne possédait pas d’oreilles, pourtant quelque chose en elle captait les couinements à haute fréquence de ses sujets. Il n’y avait aucune lumière dans la salle souterraine, mais, de toute façon, ses yeux n’avaient pas de nerfs optiques. Toutefois elle percevait toujours du mouvement autour d’elle.
Son énorme corps enflé se déplaçait avec difficulté ; lorsqu’elle respirait, il se gonflait davantage au point que des veines sombres saillaient de sa peau blanchâtre, une peau si fine que son épine dorsale semblait proéminente. Ses mâchoires s’entrouvraient légèrement et de l’air s’exhalait avec un sifflement perçant ; le souffle venait également d’une autre source, une autre bouche difforme dans un moignon à côté de sa tête pointue. A l’intérieur de sa bouche, il n’y avait pas de dents et au-dessus, ses yeux étaient inertes. Quelques poils blancs sortaient du museau ; c’est par là qu’elle respirait, mais la protubérance ne lui servait pas à grand-chose d’autre. Ses membres ne supportaient plus son lourd corps bouffi et ses griffes – cinq à chaque patte –, cassantes et fissurées, étaient longues et courbées à force de ne pas servir. La queue rabougrie n’était qu’une saillie écailleuse. La Reine Mère ressemblait à un globe oculaire géant qui palpitait.
Un vagissement s’échappait des deux naseaux ; elle tenta de s’ébattre dans son lit de vase, mais c’était impossible en raison de son poids énorme, de ses membres trop faibles. Il y eut simplement un nuage de poussière ; les os avaient été réduits en une poudre blanche par son armée de rats, vermine au pelage noir luisant qui montait la garde auprès d’elle pour la protéger, au péril de leur vie. C’est eux qu’elle appelait à l’aide maintenant.
La sombre caverne était agitée. Ses compagnons se tortillaient, se contorsionnaient. En apparence, ils lui ressemblaient ; ils étaient différents des rats soldats et des rats serviteurs. Bon nombre d’entre eux étaient sortis de ses entrailles. Et nombreux étaient ceux qui s’étaient accouplés avec elle.
Comme La Reine Mère, la plupart étaient captifs de leur propre malformation, handicapés par leur difformité. Certains étaient morts, d’autres agonisaient.
Elle poussa un cri qui ressemblait à celui d’un enfant. Elle avait terriblement peur.
Mais elle sentait que ses légions au pelage noir venaient vers elle, se frayaient un chemin le long des couloirs pour lui apporter des vivres, les crânes dans lesquels ses dents tordues creuseraient des trous pour que la matière spongieuse, à l’intérieur, puisse être aspirée et avalée.
D’une obésité monstrueuse, le corps tremblant, elle attendait avec impatience, tandis que ses descendants, au nombre de six et chacun aux formes étranges, comme elle et pourtant pas tout à fait comme elle, suçaient ses mamelles.